Aconcagua

24 décembre 2006 au 11 janvier 2007

Jour du sommet : 9 janvier 2007

Jour 1 – Le départ

Roberto et moi partons pour la montagne. Nous sommes vite gagnés par l’excitation d’une nouvelle ascension. À Puente del Inca, à 2 725 mètres d’altitude, nous louons des mulets pour transporter la nourriture et l’équipement.

Nous nous mettons en route. Au loin, nous apercevons déjà la reine des montagnes de l’Amérique. Notre pre-mière étape ne dure que quelques heures, sur un terrain vallonné et un dénivelé raisonnable. Notre sentier de gra-vier et de pierres longe une rivière aux eaux boueuses. La végétation se fait rare. Le paysage est aride et poussié-reux, mais superbe. Notre randonnée s’achève sur une pente plus raide et débouche sur un plateau, à 3 500 mètres. Nous voilà arri-vés au camp Confluencia, situé dans une magnifique val-lée aux falaises rouge brique. La roche est friable et se brise facilement. C’est moins bon pour l’escalade ! Roberto et moi ne sommes pas seuls au camp Confluencia. Environ 120 amateurs de montagne sont déjà au rendez-vous ! Nous traversons le site pour choisir un empla-cement où monter notre tente. Des médecins sont sur place et vérifient le taux de saturation en oxygène dans le sang des alpinistes. Roberto et moi sommes en forme. L’expédition commence bien.

Jour 2 – Acclimatation
Nous faisons une petite randonnée pour nous acclima-ter à l’altitude. Nous marchons jusqu’à Plaza Francia, 500 mètres plus haut. C’est à partir de cet endroit que des alpinistes français ont escaladé la face sud de l’Aconca-gua, en 1954. Leur parcours passait par une impression-nante falaise de 3 000 mètres de hauteur !

Jour 3 – Vers le camp de base

Nous attaquons la journée avec un gros déjeuner, puis nous entamons une longue marche d’une dizaine d’heures qui nous mènera au camp de base Plaza de Mulas, à 4 370 mètres. Le soleil nous accompagne tout au long du chemin. Nous traversons un torrent qui serpente au creux d’une vallée. Les méandres sont parfois difficiles à contourner, mais nous parvenons à garder un bon rythme. Nous com-mençons à monter une pente plus prononcée. Le camp de base ne doit pas être loin ! Après un moment, je me rends compte que j’ai fait erreur. Eh non, il reste encore plusieurs kilomètres de marche. Nous sommes loin d’être arrivés. L’ascension devient plus difficile. La fatigue et le manque d’oxygène commencent à se faire sentir. Tout à coup, nous apercevons des dizaines de tentes au loin. Ça y est presque ! Encore quelques efforts et nous atteignons le camp de base, soulagés. Nous devons faire la file à un poste d’accueil pour enregistrer notre présence. Les pro-cédures administratives traînent en longueur. Roberto et moi sommes fatigués de cette grosse journée et avons hâte d’en finir.

Nous traversons le campement et plantons nos tentes près de celles d’un groupe de Sud-Africains. Nous dégus-tons ensuite une soupe, du riz sauvage et des saucisses pour nous récompenser de cette longue journée. Le jour tombe et la température chute rapidement. Je regagne ma tente et m’enveloppe dans mon sac de couchage pour lire un peu avant de m’endormir.

Jours 4 et 5 – En route vers le camp Canada

Ce matin, je me réveille en même temps que l’aube. Je quitte ma tente pour contempler le lever du soleil. Nous avons passé la journée d’hier à nous reposer et à préparer notre équipement. Maintenant que nous nous sommes acclimatés à l’altitude, il est temps de monter plus haut. Aujourd’hui, nous devrons gravir les 700 mètres d’alti-tude qui nous séparent du camp Canada, à 4 930 mètres. Nous empaquetons les tentes et les vivres. Roberto est un compagnon extraordinaire. Très minutieux, il passe beau-coup de temps à s’assurer que nous n’avons rien oublié. Après deux longues heures de préparation, nous prenons quelques photos du camp de base et partons enfin. Dès que nous nous élevons, la diminution d’oxygène se fait sentir. Nous progressons à un rythme très lent. Peu à peu, le paysage se métamorphose. Nous marchons à travers des pénitents, ces étranges cônes de glace qui se dressent vers le ciel. Nous dépassons des groupes qui montent et d’autres qui descendent. Je leur demande s’ils ont atteint le sommet.

Ces rencontres ravivent mon enthousiasme. J’ai hâte d’être au sommet à mon tour ! Nous continuons notre route et parvenons à garder un rythme plus rapide que celui de nombreux randonneurs. Plus nous montons, plus le coup d’œil devient grandiose. Nous pouvons voir très loin. D’immenses gendarmes de roc se dressent un peu partout. Le paysage n’a pas fini de nous surprendre.

Jours 6 et 7 – Toujours plus haut

Nous avons passé la nuit au camp Canada. Aujourd’hui, nous devons atteindre le camp du Nido de Cóndores, à 5 350 mètres. Nous en avons pour près de cinq heures de marche sur une pente escarpée. À cet endroit, le sol est instable. Les cailloux roulent et déboulent sous nos pas. Heureusement, nous pouvons emprunter un petit sen-tier, plus stable pour les pieds, qui serpente sur le flanc de la montagne. La montée est plus longue, mais beau-coup moins raide. Nous commençons à traverser des pentes enneigées. Une multitude de rochers d’origine volcanique se dressent vers le ciel. Certains ont la hauteur d’un homme. Je n’ai jamais vu des formes si particulières. On croirait voir des sculptures de dauphins, de poissons, de chiens, de loups… C’est un véritable zoo de pierre ! Ces animaux étranges nous distraient de l’effort de l’ascension. Nous arrivons au Nido de Cóndores, où nous passons la nuit. Le lendemain matin, nous laissons quelques bagages sur place, puis nous redescendons vers le camp de base, sans passer par le camp Canada. C’est ainsi qu’une expédition en haute montagne se déroule. Plutôt que de marcher directement vers le sommet, on redescend souvent pour prendre le temps de s’adapter à l’altitude. Ce serait bien moins long de monter d’un seul coup, mais le corps ne tolérerait pas un changement d’altitude si brutal.

Habituellement, la descente est difficile pour les genoux et les muscles des jambes. Cette fois, les roches concas-sées et la neige forment un sol très mou sous nos pas et amortissent les chocs. J’ai l’impression de marcher dans du sable. Nous revenons rapidement au camp de base. Ce que nous avons monté en deux jours, nous le redes-cendons en deux heures à peine !

Jours 8 et 9 – Une étape éprouvante

Nous nous accordons deux jours de repos au camp de base pour refaire nos forces. Nous rencontrons un artiste qui s’installe chaque été au camp de base pour peindre. Il nous laisse utiliser son téléphone satellite. Je fais quelques appels, content d’annoncer à mes proches que j’ai atteint une altitude de 5 350 mètres et que je tiens le coup ! Nous croisons aussi des Québécois, des Britanniques et beaucoup de Sud-Américains. Les camps sont des lieux propices aux rencontres de toutes sortes ! Le temps file. C’est déjà le moment de repartir pour le Nido de Cóndores. Cette fois, nous y grimperons sans nous arrêter au camp Canada. La montée est difficile, sur-tout vers la fin. Le vent se lève et la neige se met à tom-ber, de plus en plus dru. Finalement, nous avons droit à une véritable tempête ! L’ascension dure plus de temps que prévu. De plus en plus fatigués, Roberto et moi pro-gressons très lentement. Dans le blizzard, nous ne savons plus dans quelle direction se trouve le Nido de Cóndores !

Pendant que nous essayons de nous orienter, nous tom-bons sur un groupe de grimpeurs en meilleur état que nous. Ils nous indiquent que le camp est un peu plus haut et nous offrent une tasse de café pour nous redonner des forces. Nous acceptons avec joie. Il est grand temps que nous prenions une pause ! Nous nous reposons un peu en écoutant les grimpeurs raconter leurs projets d’expédition. Quelques minutes plus tard, nous nous sentons d’attaque pour parcourir les derniers mètres qui nous séparent du Nido de Cóndores. Nous arrivons au camp à bout de forces. Après cette journée harassante, nous n’avons qu’une idée en tête : dormir. Nous repérons notre tente, que nous avions laissée sur place il y a quelques jours. Elle est tout enneigée. Nous la déblayons et nous nous cou-chons, épuisés. Je dors comme une bûche.

Jours 10 et 11 – La fin approche

Nous prenons une journée de repos au Nido de Cóndores avant de repartir. Notre prochaine destination sera le camp Berlin. Nous nous levons tôt. Heureusement, la température est plus clémente. Nous ne nous perdrons pas dans une autre tempête de neige aujou rd’hui.Nous cachons sur place quelques pièces d’équipement et un sac de déchets pour les reprendre plus tard, mais nous emportons la tente avec nous. La montée se passe beaucoup mieux qu’il y a deux jours. Nous grimpons 500 mètres de dénivelé en suivant le chemin qui serpente sur le flanc de la montagne. Plus tard dans l’avant-midi, nous découvrons le camp Berlin. Le site est juché sur un petit plateau encastré dans la montagne. Il n’y a pas beaucoup de place. À peine une vingtaine de tentes tiennent dans cet espace étroit. À peine arrivés, nous apercevons des grimpeurs épuisés qui descendent du sommet vers le camp Berlin. Roberto et moi ne sommes pas aussi affectés par le mal des mon-tagnes, mais nous commençons à en ressentir quelques symptômes. L’altitude où nous nous trouvons équivaut à la hauteur du Kilimandjaro ! Nous sommes essoufflés pendant que nous montons la tente. Nous prenons aussi de l’aspirine pour calmer nos maux de tête. Le soir venu, un coucher de soleil extraordinaire vient récompenser nos efforts de la journée. Le camp sur-plombe un plafond de nuages. On se croirait en avion ! Roberto et moi prenons ensuite un dernier repas avant d’aller dormir tôt. Nous essayons d’avaler un maximum de calories. Demain, nous aurons besoin d’énergie : ce sera le grand jour !

Jour 12 – Jour du sommet

Il fait encore noir. Nous devons porter une lampe frontale pour éclairer notre route. Malheureusement, nous n’avons pas droit à une belle nuit étoilée pour notre départ vers le sommet. Le ciel est couvert, et le temps, venteux. Plusieurs alpinistes partent en même temps que nous. Devant et derrière nous, de nombreuses lampes fron-tales transpercent la noirceur. C’est rassurant de savoir que nous ne sommes pas seuls sur le chemin. Il y a telle-ment de sentiers différents que c’est facile de se perdre, surtout avant le lever du soleil. Après quelques heures de montée, j’atteins Independencia, à 6 400 mètres, un ancien refuge complètement démoli situé sous le col Del Viento. J’attends Roberto. Nous ne marchons pas à la même vitesse et je l’ai devancé peu à peu. Il finit par arriver en même temps qu’un groupe de Mexicains. Il me dit de continuer à mon rythme. Quant à lui, il suivra les grimpeurs mexicains, un peu plus lents.
Je continue ma route sur un sentier en traverse exposé au vent au point Canaleta, une pente raide de 350 mètres. Le sentier grimpe ensuite en zigzag sur un sol rocheux. Il fait froid, mais je suis maintenant à l’abri du vent.

Un groupe me précède. Je le dépasse tranquillement. La montée de la Canaleta me semble interminable ! Je pense que je suis arrivé, mais je réalise que je dois traverser vers la gauche une autre section exposée au vent, puis encore un petit escarpement. Je prends des petites pauses pour admirer le coup d’œil, mais pendant la montée je fixe mes pas pour ne pas me laisser distraire par le paysage extraordinaire.

Sur le toit des Amériques
À onze heures, je parviens jusqu’à une petite croix plan-tée entre les rochers et enrubannée de banderoles mul-ticolores. C’est le sommet ! Après une montée de cinq heures trente et de 1 000 mètres de dénivelé, j’ai atteint la cime de la plus haute montagne du continent ! Il n’y a personne d’autre que moi. Apparemment, je suis le premier de la journée. Fatigué mais heureux, j’en pro-fite pour bombarder de photos le paysage. Au sommet de l’Aconcagua, le coup d’œil est impressionnant. Les sommets rocheux et enneigés des Andes m’entourent à perte de vue. Un autre alpiniste me rejoint. Nous échangeons la tradi-tionnelle poignée de main des vainqueurs. Je peux parta-ger ma joie ! Puis plusieurs grimpeurs arrivent au sommet à leur tour. Dans la cohue, je m’apprête à rebrousser chemin. Il est temps de rejoindre Roberto. J’espère qu’il va bien. En arrivant au bas de la redoutable Canaleta, j’aperçois enfin mon compagnon. Il tient à peine sur ses jambes. Il a dû lutter contre des vents très forts avant d’atteindre la Canaleta. Maintenant, il est trop fatigué pour continuer vers le sommet. Je le vois regarder le sommet avec envie. Son esprit voudrait y être, mais son corps refuse d’aller plus loin. Nous décidons de retourner vers le camp Berlin

Quelle descente éprouvante ! Les muscles des jambes me brûlent. Pire encore : nous nous perdons plusieurs fois dans les nombreuses pistes. Chaque fois que nous croyons prendre un raccourci, nous devons revenir sur nos pas. Nous regagnons le camp Berlin vers quinze heures, com-plètement épuisés. Nous commençons à faire à manger, mais il vente tellement que je préfère aller me réfugier dans la tente pour me reposer. Je m’écroule sur mon matelas de sol et je m’endors.

Jours 13 et 14 – Le temps de repartir
L’expédition tire déjà à sa fin ! Roberto et moi nous levons tôt pour retourner à Nido de Cóndores. Nous reprenons les déchets et les pièces d’équipement que nous avions laissé sur place, puis nous retournons au camp de base avec nos sacs à dos pleins à craquer. Le lendemain, nous marchons les 22 kilomètres qui nous séparent de l’entrée du parc Aconcagua. Nous prenons ensuite l’autobus pour Mendoza, où nous dénichons une petite auberge. Je peux enfin prendre une bonne douche. Un véritable luxe, après m’être contenté d’une hygiène rudimentaire pendant une quinzaine de jours !