Denali

4 juin au 15 juin 2009

Jour du sommet : 13 juin 2009

Cap sur la montagne

Il fait nuit. À bord d’un minibus, je file en direction de Talkeetna, un minuscule village touristique de l’Alaska où commencera mon expédition. Encore une fois, j’ai la chance d’être entouré de coéquipiers : Jean Bellemare et Michel Weachter, que j’ai vus pour la première fois en personne à mon départ de l’aéroport de Montréal, de même que Serge Massad, que j’avais rencontré au camp de base de l’Everest. Depuis, nous sommes restés en contact. Quand je lui ai parlé de mon souhait de faire l’ascension du mont Denali, il a tout de suite accepté que je me joigne à lui et à son équipe. Il était déjà monté au sommet de ce géant de 6 194 mètres, mais il comptait justement y retourner en juin 2009. C’était l’occasion par-faite. Michel aussi a déjà sillonné les flancs du Denali. Je suis content de faire le voyage avec des coéquipiers qui sont familiers avec le parcours.

Nous arrivons à Talkeetna au petit matin. Avec la clarté de l’aube, je peux maintenant contempler le décor du Nord-Ouest des États-Unis, avec sa nature rude et ses rivières. Une poignée de boutiques souvenirs à l’effigie d’animaux sauvages bordent certaines rues du village. Nous nous arrêtons dans un restaurant pour boire un café, puis nous allons nous enregistrer au bureau des gardes du parc. On nous fournit les sacs à déchets que nous utiliserons pendant l’expédition.

Jour 1 – Vers le camp de base

Le jour même, nous montons à bord du Cessna qui nous mènera au camp de base, à 2 200 mètres. L’appareil est muni de skis pour atterrir sur le glacier enneigé. Pendant le vol, j’ai l’impression de me retrouver dans un film IMAX tellement le paysage est époustouflant. Je comprends les nombreux touristes qui viennent ici seulement pour survoler la chaîne de montagnes en avion ! C’est si beau. J’essaie de tout voir de cette éten-due immense de plaines et de sommets sous la neige. Je prends autant de photos que je le peux pour capturer la Dès que nous quittons l’avion, nous préparons notre équipement, nous chaussons nos raquettes et nous nous encordons avec nos traîneaux à l’aide de nœuds autoblo-quants, le prussik. On le fabrique avec une simple corde-lette et il peut nous sauver la vie lors d’une chute dans la crevasse d’une montagne. beauté et l’émotion du moment. Au loin, nous aperce-vons le mont Denali qui s’élance droit vers les nuages. Je m’emballe. J’ai hâte de bouger ! Si l’un de nous glisse dans un trou, il pourra utiliser ce nœud facile à réaliser d’une seule main, puis s’en servir pour se hisser peu à peu. Le prussik joue le rôle d’une poi-gnée d’ascension de secours.

Quand nous sommes fin prêts, nous entreprenons la pre-mière étape de notre périple. Nous devrons parcourir une vingtaine de kilomètres pour atteindre le sommet. Après cinq heures de marche, nous parvenons au camp 1, situé à 2 400 mètres. Tout le monde est épuisé. Pour nous, la journée a commencé il y a plus de vingt-quatre heures ! Nous préparons nos tentes et prenons une nuit de sommeil bien méritée.

Jours 2 et 3 – Montée jusqu’au camp 3
Ce matin, nous sommes encore fatigués. Nous ferons une plus petite journée. Avant de repartir pour la prochaine étape, nous laissons de la nourriture et de l’équipement sur place. Nous les cachons sous la neige et nous en mar-quons l’emplacement par un drapeau. C’est la façon la plus simple d’entreposer l’équipement et la nourriture. Lorsque nous parvenons à 3 100 mètres d’altitude, au bout de nos quatre heures de marche, nous voyons à peine le paysage. Le camp 2 est plongé dans le brouillard. Au moins, nous ne sommes pas bloqués en plein blizzard. C’est chose fréquente sur cette montagne. La tempéra-ture est très changeante. Le lendemain, le brouillard est moins dense, mais il tombe quelques flocons. Serge reconnaît plusieurs points de repère sur notre route. Nous ne devrions pas nous perdre ! Équipés d’un GPS, nous suivons soigneuse-ment les traces des alpinistes qui nous ont précédés. Après cinq heures d’efforts, nous atteignons les 3 400 mètres d’altitude du camp 3, niché dans un coude à l’abri du vent. Le ciel s’est dégagé. Nous pouvons enfin apercevoir le panorama grandiose. De nombreux grim-peurs sont déjà au campement. Nous sommes contents de pouvoir faire de nouvelles rencontres. J’avale du fromage et quelques bâtonnets de viande séchée en guise de repas, puis je vais me coucher tôt. Je suis fatigué. J’ai un léger mal de tête, peut-être causé par les 3 400 mètres d’altitude, mais surtout par le vilain rhume que j’ai attrapé !

Jour 4 – La catastrophe évitée
Une journée difficile nous attend. Comme l’étape qui nous mènera au camp 4 comporte un grand dénivelé de 900 mètres, nous séparerons notre montée en deux étapes. Nous transportons d’abord une dizaine de kilos de bagages que nous n’utiliserons pas avant l’approche du sommet : manteaux en duvet, mitaines et sacs de cou-chage ultra-isolants… Nous empaquetons tous ces effets dans des traîneaux et nous nous mettons en route. Un soleil éblouissant accompagne notre ascension, mais le vent souffle fort. Nous nous faisons constamment bous-culer par les rafales. Lorsque nous parvenons à un plateau situé au pied d’une autre longue côte, nous nous écartons du sentier pour nous abriter du vent. Mais notre petite pause prend une tournure imprévue. Par mégarde, Jean tombe dans une crevasse ! Il fait une chute d’au moins deux mètres et reste suspendu dans le vide. Heureusement que nous nous sommes tous encordés ! Serge, Michel et moi réussissons à hisser notre compa-gnon hors du trou. Finalement, nous avons eu plus de peur que de mal. Après cet incident, nous ne prendrons aucun risque. Nous veillerons à nous encorder avant chaque étape de marche. Un peu secoués mais plus prudents, nous poursuivons notre marche sur le glacier. Lorsque nous parvenons à mi-chemin entre les camps 3 et 4, nous pelletons un trou dans la neige et nous y plaçons l’équipement dont nous nous servirons plus tard. Nous descendons ensuite au camp 3 pour y passer la nuit.

Jour 5 – En route vers le camp 4

Cette fois, nous mettons le cap sur le camp 4, à 4 300 mètres ! Nous empaquetons nos derniers effets et nous tirons nos lourds traîneaux su Nous devons être prudents avec nos traîneaux. Nous nous efforçons de les garder dans le sentier, mais ils finissent toujours par glisser vers le bas et ils ralentissent notre progression. Heureusement que nous les avons aussi encordés pour mieux les diriger. Nous grimpons encore des longues pentes très escar-pées en tirant le poids de notre équipement. La montée est très exigeante d’un point de vue cardiovasculaire. Nous nous félicitons d’avoir transporté la moitié de nos bagages la veille. Après plus de six heures, nous sommes soulagés de voir se profiler le camp 4 sur notre route, à 4 000 mètres ! Nous dressons nos tentes et nous prenons un repas consistant. Revigoré, je vais explorer les alentours. Campé sur un pla-teau, le site offre une vue imprenable sur les montagnes des alentours, le West Buttress et le West Rib. Nous aper-cevons même l’ombre du Cassin Ridge au loin. Je me sens minuscule dans ce panorama immense !

En retournant à ma tente, j’ai la surprise de croiser Bret, un ami à qui j’ai déjà enseigné l’escalade de glace, il y a bien des années. C’est une grande joie pour moi de le retrouver par hasard et d’apprendre qu’il est devenu un alpiniste chevronné !

Jours 6 et 7 – Acclimatation

Pendant deux jours, nous ne montons pas plus haut que le camp 4. Nous retournons chercher l’équipement que nous avons laissé en chemin l’avant-veille. L’aller-retour ne nous prend pas plus de trois heures. J’en profite aussi pour me reposer. Ma grippe est tenace. J’espère qu’elle ne compromettra pas l’ascension des prochains jours.

Jour 8 – Préparer la montée au camp 5

En me levant, je constate que j’ai pris du mieux. Toute l’équipe se sent d’attaque pour la prochaine étape. Nous allons encore une fois porter de l’équipement près du prochain camp. Le chemin qui mène au camp 5 passe par une pente très abrupte. Nous la montons lentement avec des sacs à dos bourrés d’équipement et de nourriture. Lorsque nous parvenons au col à 5 000 mètres d’altitude, nous nous arrêtons, essoufflés. En donnant un premier coup de pelle pour creuser un trou pour le dépôt, je constate que la glace est très dure ! Nous avons besoin de toutes nos forces pour parvenir à creuser une fosse assez grande pour contenir tout notre matériel. Quand je m’arrête pour reprendre mon souffle, j’aper-çois des avions qui survolent la montagne. Les touristes doivent avoir une vue aussi extraordinaire que la nôtre !

Jour 9 – Accident

Nous avons prévu prendre une journée d’acclimatation au camp 4, mais notre repos tourne en tragédie. Deux Américains font une chute épouvantable sous nos yeux. Impuissants, nous assistons au sauvetage. À l’arrivée des secours, les hommes sont déjà morts. Tous les grimpeurs du campement sont en état de choc. Mes coéquipiers et moi sommes d’autant plus ébranlés que Jean a fait une chute du même genre. Il a eu de la chance. Malgré toutes les précautions qu’on peut prendre, l’environnement de la haute montagne demeure hostile à l’alpiniste. La vie ne tient souvent qu’à un fil de dix millimètres.

Jour 10 – Vers le camp 5

C’est aujourd’hui que nous partons pour le camp 5, à 5 200 mètres. Le site nous réserve un accueil époustou-flant. Nous sommes quasiment les seuls à en profiter, car le campement est presque désert. La nuit ne sera pas facile : Serge, Michel, Jean et moi partageons une minuscule tente conçue pour trois per-sonnes ! Nous nous y installons un par un et nous finis-sons par réussir à y tenir tous les quatre, serrés comme des sardines. Je me couche le premier. Ma grippe n’est pas terminée. Je suis toujours aux prises avec une mauvaise toux. Heureusement, mon équipe me donne un coup de main. Je suis choyé d’avoir de si bons partenaires.

Jour 11 – Jour du sommet

Nous nous levons tôt pour l’assaut final ! La journée sera longue. Notre chemin commence dans une longue pente qui nous conduit à un petit col, le Denali Pass. Nous reprenons notre souffle avant d’entreprendre lentement la montée suivante. Lorsque nous parvenons à un grand plateau baptisé le Football Field, nous pouvons contempler le sommet face à face. De loin, il paraissait petit, mais plus j’avance, plus je réalise comme il est grand. La victoire de notre ascen-sion est proche ! Je suis enthousiaste. Nous décidons de laisser nos sacs à dos sur place pour terminer plus facile-ment l’ascension. Nous partons avec nos gourdes et nos manteaux de duvet sur le dos. 

Au sommet de l’Alaska

Il ne nous reste plus qu’une colline de 300 mètres à gravir. La hâte m’aide à avancer. Quelques instants plus tard, nous posons le pied sur la cime du géant de l’Alaska. Nous avons réussi ! Nous sommes heureux d’avoir pu fouler le sommet tous ensemble, après cette ascension de onze jours ! Le ciel est couvert et le soleil transperce par moments la couche de nuages. Je contemple longuement le pano-rama des montagnes environnantes. Quel paysage incroyable que celui d’un sommet ! Nous resterions bien encore un peu, mais il nous faut déjà penser à descendre. Nous avons encore beaucoup d’efforts à fournir avant de regagner le camp 5. Nous nous encordons et rebroussons chemin en veillant à res-ter vigilants. Nous avons largement atteint notre quota d’émotions !Finalement, l’aller-retour s’étire sur une dizaine d’heures. Ouf ! L’escapade au sommet est mission accomplie ! Comblés mais vidés, nous passons la nuit au camp 5.

Jour 12 – Difficile descente

L’expédition touche à sa fin. Nous rangeons la tente et nous nous mettons en route. Cap sur le camp de base ! Cette fois, nous devons traîner tout notre matériel. Nous ramassons l’équipement que nous avons laissé en che-min. Nos traîneaux finissent par être pleins à craquer. Notre descente s’achève au bout de douze heures harassantes. À notre arrivée au camp de base, nous sommes assommés de fatigue. À peine installé dans ma tente, je me laisse choir comme un poids mort sur mon sac de couchage. Ce n’est pas ce soir que nous célébre-rons notre victoire !

Retour au bercail

Nous voilà de nouveau à notre point de départ, au village de Talkeetna. Nous nous arrêtons au restaurant et nous fêtons notre retour à la civilisation avec un repas bien peu montagnard : un gigantesque hamburger « McKinley » et une bonne bière ! Peu à peu, je réalise que j’ai déjà monté cinq sommets de la collection des sept. Il me faut déployer beaucoup de persévérance pour ne pas perdre de vue mon objectif. Heureusement, la présence de mes coéquipiers m’a fait apprécier encore davantage l’expédition. Je suis content de la chimie qui s’est installée entre nous. À présent, je suis prêt pour la prochaine étape, qui ne tardera pas. Bientôt, je mettrai le cap sur l’Elbrouz, en Russie !