Le pôle Nord

1er au 9 novembre 2009

Après ma couronne des sept sommets et mon expédition en ski au pôle Sud depuis le dernier degré, j’ai poursuivi mon odyssée autour du globe en ajoutant le dernier mail-lon de la chaîne : le pôle Nord. Je suis parti en ski, encore une fois depuis le dernier degré du globe, sur l’océan Arctique et sa banquise. L’aventure comportait sa part de risques : le froid, l’iso-lement, les crevasses, les ours polaires… Même l’arrivée au pôle Nord suscitait en moi quelques doutes : l’avion qui me transportait allait se poser sur une piste d’atterris-sage de fortune qui ne faisait pas plus d’un à trois mètres d’épaisseur de glace. À bord de l’avion, personne n’a négligé d’attacher sa ceinture !

Après un atterrissage risqué, moi et les autres membres de l’expédition avons posé le pied sur la banquise arc-tique, cet immense désert de glace. Nous nous sommes dirigés vers Barneo, le campement temporaire qui accueille les aventuriers. Une compagnie russe l’amé-nage chaque année pour les cinq semaines où le climat permet l’exploration de l’Arctique. Nous avons profité à peine une heure du confort rudi-mentaire de Barneo, puis nous nous sommes mis en route vers le pôle Nord, équipés de nos skis et de nos lourds traî-neaux. Un périple de sept jours et sept nuits commençait. Mes inquiétudes sont tombées les unes après les autres. En compagnie de notre guide Alain Hubert, j’étais confiant. Cet aventurier chevronné avait sillonné la ban-quise arctique dans tous les sens. Il saurait nous aider à atteindre notre but. J’avais beaucoup de respect pour lui et pour mes coéquipiers. Ils avaient tous une longue expérience. J’ai beaucoup appris en discutant avec eux ; leurs récits m’ont donné l’enthousiasme nécessaire pour persévérer dans cette expédition très exigeante. J’ai vite constaté que le pôle Nord était très différent du pôle Sud. Ici, la température descendait moins bas sur le thermomètre, mais le froid humide me glaçait jusqu’aux os, autant à l’extérieur qu’à l’intérieur de ma tente. Et c’est sans compter qu’il fallait s’armer de patience pour réussir à faire sécher des chaussettes mouillées à l’air ambiant. Chaque soir, je devais brosser mes couches de vêtements pour retirer la glace qui s’y était formée au cours de la journée. Le relief irrégulier de la banquise n’avait rien à voir avec les immenses plaines blanches de l’Antarctique. La glace craquait, se cassait, se compressait, formait des cre-vasses. Nous devions parfois emprunter de longs détours pour contourner les trous d’eau et les amoncellements de glace. Avec les skis et les traîneaux, il était difficile de se frayer un chemin sur ce terrain accidenté. Chaque jour, nous avons parcouru une vingtaine de kilo-mètres, au rythme d’un ou deux à l’heure. Nous ponc-tuions notre progression de courtes pauses de cinq minutes, le temps de nous emmitoufler dans un manteau en duvet et d’avaler une collation et un chocolat chaud. Puis nous nous remettions en action avant que nos pieds et nos mains gèlent.

Même si mes coéquipiers et moi nous suivions, nous avons économisé notre souffle et parlé très peu. Les longues heures d’efforts et de solitude se prêtaient à l’introspection. J’ai revisité en pensée les sept sommets que j’avais atteints quelques mois plus tôt. Un voyage intérieur autour du globe !
Au bout de quelques jours, je me suis concentré uni-quement sur l’instant présent, tous mes sens à l’affût des beautés de l’Arctique. Les nombreuses textures de la neige m’ont fasciné : poudreuse et légère, lourde et humide, ou encore compactée et sculptée par le vent. Même la glace ne m’avait jamais semblé arborer autant de couleurs différentes : bleu poudre, turquoise, gris, noir, blanc… Le paysage formait des étendues aux mille et une formes. Mon imagination vagabondait. Dans les amon-cellements de glace, j’ai distingué des ailerons de requin, des éléphants, des personnages, et même le sommet de l’Everest et les deux tours du World Trade Center. De jour comme de nuit, un soleil éblouissant a accompagné notre route. Nous avons skié sous un perpétuel coucher de soleil. Un panorama inoubliable ! Ce ciel magnifique restera toujours gravé dans ma mémoire. Les vingt-quatre dernières heures de notre périple m’ont paru beaucoup plus intenses qu’en Antarctique. Ici, aucune vaste base scientifique ne s’est profilée au loin. À quelques kilomètres de la fin de l’expédition, nous avons dû modifier constamment notre trajectoire. Une fébrilité de plus en plus grande m’habitait. Nous avons finalement atteint le point culminant de notre expédition, fatigués et frigorifiés, mais soulagés de voir l’effort physique se terminer. Aucune borne n’indiquait le 90e degré. Nous avons dû le chercher à l’aide du GPS ! Nous n’avons pas effectué un retour à la civilisation, mais plutôt une arrivée au beau milieu d’une terre sans fin.

Une équipe d’aventuriers tchèques nous ont rejoints. Ensemble, nous avons monté nos tentes pour dormir une dernière fois sur la glace hostile. Après un copieux repas, un Tchèque d’une cinquantaine d’années a sorti de ses bagages un harmonica et une petite guitare. Il a chanté et joué pour nous, sous nos yeux ébahis. Ce soir-là, sur la banquise arctique à la dérive, en compagnie d’une poi-gnée d’aventuriers des quatre coins du monde, je me suis senti comme chez moi. Le lendemain, j’ai émergé de ma tente au petit matin comme un ours polaire de sa tanière. J’avais à peine avalé mon petit-déjeuner qu’un bruit lointain a brisé la quié-tude du pôle désertique. Nous sommes sortis observer le ciel. Un appareil se profilait au loin. L’hélicoptère russe qui devait nous ramener ! Dans un rugissement de plus en plus puissant, il s’est approché et s’est posé près du campement. L’euphorie nous a gagnés. L’heure de notre retour vers le sud avait sonné ! Lorsque nous sommes montés à bord de ce masto-donte digne d’un film de James Bond, j’ai contemplé le paysage majestueux du pôle Nord. Quel moment inou-bliable, après tous les efforts de ma longue odyssée autour du monde ! Cette fois, c’était vraiment fini. Je rentrais chez moi.