Kilimandjaro

29 décembre 2007 au 6 janvier 2008

Jour du sommet : 5 janvier 2008

Cap sur la montagne

À peine arrivé à Nairobi, au Kenya, j’apprends que mes bagages sont perdus ! Mon expédition en sol africain com-mence bien… Je quitte l’aéroport avec un pincement au cœur. Est-ce que je vais revoir mon équipement ? Est-ce que je pourrai bel et bien monter le Kilimandjaro ? Lyne, ma conjointe et compagne d’expédition, s’inquiète elle aussi. C’est sa première ascension et elle ne veut pas être obligée d’abandonner avant même d’avoir commencé !Nous quitto s l’aéroport à bord d’un minibus qui trans-porte une vingtaine de passagers étrangers en direction de la ville de Moshi. Je m’exclame devant les paysages de l’Afrique, superbes et nouveaux pour moi. Nous nous installons finalement dans un petit hôtel de Moshi, qui offre une vue incroyable sur le Kilimandjaro. Je contemple cette grande montagne que je vois face à moi pour la première fois. Les glaciers qui recouvrent ses pentes s’amenuisent chaque année. Au rythme où vont les changements climatiques, dans vingt-cinq ans, la glace aura fondu.

Les problèmes se règlent
Après deux jours d’inquiétude, je reçois enfin des nou-velles de la compagnie aérienne. On a retrouvé nos bagages ! Nous partons au petit matin pour les récupérer à l’aéroport. Lyne est aussi soulagée que moi. Ouf ! Nous préparons notre équipement avec entrain. Nous voilà fin prêts pour le début de l’ascension demain matin. Nous sommes comme un lion et une lionne affamés de montagnes ! À nous le Kilimandjaro !

Jour 1 – Vers le camp 1

Avant de quitter l’hôtel, nous prenons une dernière douche. La prochaine devra attendre une longue semaine ! Le trajet Machame, celui que nous avons choisi, durera sept jours. Nous partons pour la montagne. À notre arrivée au sentier de départ, je suis surpris. Une bonne centaine de grimpeurs et autant de porteurs se pressent devant les bureaux d’enregistrement. Je n’ai jamais vu autant de monde sur une même montagne. Lyne et moi nous mêlons à la foule et attendons notre tour. Il nous faut patienter deux heures interminables pour régler les formalités de notre passage. Ici, tout est lent. Au moins, nous en avons profité pour manger un peu avant de commencer la randonnée. Nous partons vers quatorze heures en direction du camp 1, à 3018 mètres. Nous marchons tranquillement, mais je transpire déjà à grosses gouttes à cause de la chaleur et de l’humidité. La forêt tropicale est magnifique avec sa profusion d’arbres, de plantes et d’animaux. Ce paysage luxuriant est rare pour moi : je suis plutôt habitué aux végétations fragiles et clairsemées de la haute montagne. Nous atteignons le camp 1 vers dix-huit heures. Un peu fatigués de cette première journée, nous nous empres-sons de dresser la tente. Quand les matelas, sacs de couchage, oreillers improvisés et autres bagages sont installés, nous pouvons enfin nous reposer. Nous mangeons peu. Malgré nos quatre heures de randonnée sur les sentiers escarpés du Kilimandjaro, l’appétit n’est pas au rendez-vous ce soir. Nous buvons beaucoup d’eau et nous avalons des aspirines pour cla-rifier notre sang et ainsi prévenir les petits maux de tête causés par l’altitude.

Jour 2 – L’ascension se poursuit
Après avoir avalé un bol de gruau, une banane et un café instantané, nous partons très lentement vers le camp sui-vant. Le paysage se métamorphose au fur et à mesure que nous grimpons en altitude. La taille des arbres dimi-nue, les feuillus disparaissent et laissent place à de gros cactus. Quand nous atteignons un grand promontoire rocheux, nous nous arrêtons et nous dînons derrière un monticule de pierre, à l’abri du vent. Le coup d’œil est grandiose et ravive mon enthousiasme. Comme je suis chanceux de vivre cette aventure, de réaliser encore l’un de mes rêves ! Nous poursuivons notre marche en discutant avec les guides et les autres randonneurs pour passer le temps. Le sentier est passablement peuplé ! Sur le Kilimandjaro, une règle de sécurité nous oblige à marcher en compa-gnie d’un guide local. Lyne et moi bénéficions même de l’aide de porteurs qui transportent nos sacs d’équipe-ment sur les flancs de la montagne. Quel luxe ! Nous les rejoignons chaque soir au camp suivant. C’est la première fois que je suis aussi choyé pendant une expédition. Habituellement, je me débrouille par mes propres moyens. Mais je dois reconnaître que la pré-sence des guides et des porteurs a du bon. Ces gens nous permettent de profiter de l’expédition sans avoir à nous préoccuper des détails de la logistique. 

Jour 3 – Lentement mais sûrement

Depuis le camp Shira, à 3756 mètres, nous effectuons une lente montée vers la Lava Tower, à 4600 mètres d’alti-tude. Notre guide Jimmy nous suggère de ne pas nous presser. C’est la meilleure chose à faire pour éviter de souffrir du mal des montagnes.
— Polé, polé ! Hakuna matata ! répète continuellement Jimmy. « Lentement, pas de soucis ! »

Ce sont les premiers et derniers mots que j’apprendrai pendant mon voyage en terre africaine. Le swahili n’est pas facile ! Heureusement, Lyne est plus douée que moi pour les langues. Elle réussit à apprendre quelques mots et phrases de base. Je suis d’ailleurs enchanté de faire cette expédition avec elle plutôt qu’avec des amis alpinistes. L’expérience humaine est différente, notre complicité est plus grande. Nous nous connaissons bien et nous n’avons pas besoin de jouer à la devinette pour comprendre les besoins de l’autre. Lyne est aussi une femme motivée et débrouil-larde : elle a déjà voyagé seule dans des conditions rudi-mentaires. L’aventure en sac à dos, elle connaît.

Jour 4 – La saleté et l’achalandage
Nous partons en file indienne avec une armée de randon-neurs et de porteurs pour gravir une falaise abrupte, le mur de Barranco. Le paysage est incroyable, différent de tout ce que j’ai déjà vu. On se croirait dans un décor lunaire. Lyne et moi marchons à un bon rythme. Nous devançons de nombreux randonneurs, souvent des grands groupes et des débutants. Chaque jour, une sélection naturelle s’opère dans nos rangs. Nous croisons régulièrement des marcheurs qui redescendent pour mieux s’acclimater à l’altitude, ou encore qui se sont blessés. Certains doivent même se résoudre à retourner au camp de base. Malgré tout, ils sont heureux d’avoir essayé cette ascension. À force de voir tant de gens rebrousser chemin, Lyne et moi savourons notre chance chaque fois que nous attei-gnons un nouveau campement. Je me rends compte que le Kilimandjaro est très pol-lué, en comparaison avec l’Aconcagua. C’est le plus fré-quenté des sept sommets. Même s’il fait partie d’un parc national, les responsables n’imposent encore aucune politique de gestion des déchets. Notre hygiène quotidienne demeure évidemment rudi-mentaire. Comme nous avons peu d’eau, nous nous nettoyons à l’aide de lingettes humides. C’est le strict minimum, après tous nos efforts de la journée ! Mais nous finissons par nous habituer à la crasse et aux vête-ments sales. En montagne, c’est un mal nécessaire ! Je suis fier de Lyne, qui ne se plaint pas de la saleté.

Ascension de nuit

Je suis frappé par l’achalandage des sentiers et des cam-pements. Durant la nuit, les bouchons pour les oreilles s’avèrent indispensables ! Ils nous isolent de la caco-phonie ambiante et nous permettront de dormir un peu avant l’étape finale. Nous n’aurons que quelques heures pour reprendre nos forces, car nous partons à minuit en direction du sommet.e prépare soigneusement l’équipement pour cette nuit. Joseph, l’assistant-cuisinier du campement, vient nous offrir une dernière collation avant notre coucher. Tout est prêt pour la fin de notre ascension, mais Lyne et moi parvenons difficilement à fermer l’œil. C’est toujours ainsi la veille d’une montée au sommet !À onze heures quarante-cinq, nous nous levons et nous habillons chaudement, quitte à enlever des épaisseurs de vêtements en chemin. Il fait autour de -15 °C. Malgré le froid, la nuit est parfaite pour l’ascension au sommet. Il n’y a pas de vent et le ciel noir est magnifique avec ses milliers d’étoiles. Nous partons lentement pour ménager nos forces. Polé, polé !

Nous suivons les lueurs des lampes frontales de quelques aventuriers devant nous. Je passe les premières heures de montée dans un grand calme intérieur, contraire-ment à d’autres ascensions où l’excitation me gagnait à l’approche du sommet. Je contemple souvent l’horizon encore obscur en savourant l’instant présent. Quelques courtes pauses nous permettent de reprendre notre souffle et de nous détendre les jambes. 

Jour 5 – Lever du soleil sur le toit de l’Afrique

Il est cinq heures trente. Notre montée tire à sa fin. Encore trente minutes de marche et nous serons au som-met. L’aube accompagne nos derniers efforts. Les pre-mières lueurs du soleil pointent à l’horizon. Un bandeau de lumière rose et orangé éclaire le ciel. Quel paysage sublime pour l’aboutissement de notre ascension ! Nous gravissons les derniers mètres avec une volonté redoublée, puis nous atteignons le sommet. Nous voilà sur le toit de l’Afrique, éblouis par un lever de soleil spec-taculaire ! Après tous nos efforts, nous sommes grisés par notre réussite. Lyne est radieuse. Je suis aussi très fier d’elle. Elle a réussi haut la main l’ascension ! Quelques alpinistes réjouis sont déjà sur place. Tour à tour, nous nous photographions à côté de la mythique pancarte de bois qui indique l’arrivée au sommet. Le panorama sur la Tanzanie nous coupe le souffle. Pendant que je regarde le jour se lever sur l’Afrique, mes pensées se portent vers l’Everest, à des milliers de kilomètres de là. Je me remémore sa silhouette immense et majes-tueuse. J’ai peine à croire que je m’en approche de plus en plus ! Le Kilimandjaro constituait la dernière expédi-tion importante de ma préparation. Ma prochaine grande ascension commencera au pied de l’Everest. Après une heure de célébration, nous empruntons déjà la route qui nous ramènera au pied du Kilimandjaro, le sou-rire aux lèvres. La descente est difficile pour les genoux. Au bout d’une heure, je me retourne pour voir où en est Lyne. Je constate avec inquiétude que l’altitude semble l’affecter. Elle est pâle et marche avec difficulté. Peut-être sommes-nous restés trop longtemps au sommet. Je lui explique qu’elle ne doit surtout pas se reposer ici. La meilleure façon de calmer les symptômes du mal des montagnes est de descendre. Déterminée, Lyne brave sa grande fatigue et poursuit sa route. Jimmy et moi gardons un œil sur elle. À mon grand soulagement, elle reprend peu à peu ses couleurs et son sourire.

Nous regagnons sans encombre le camp à 4 600 mètres d’altitude, après neuf longues heures de marche. Nous avalons une boisson chaude et nous faisons la sieste pour reprendre des forces. Quelques heures plus tard, nous reprenons encore la route pour rejoindre le camp plus bas. La marche est éprouvante, mais l’adrénaline nous donne de l’énergie. Peu à peu, la végétation tropi-cale réapparaît sur les flancs de la montagne. Nous arrivons enfin au camp de base, morts de fatigue. Nous sommes sales et nos vêtements « sentent le cau-chemar », comme dit souvent Lyne. Mais ce n’est pas si grave. Nous venons de faire le Kilimandjaro ensemble ! Nous avons passé une des plus belles nuits de notre vie au sommet. Le reste importe peu !

Retour au bercail

Avant notre départ pour Québec, nous partons en jeep pour un safari de six jours au lac Manyara, au cratère du Ngorongoro et sur la plaine du Serengeti. Une aventure riche en surprises et en découvertes ! Je termine mon voyage la tête remplie de beaux souvenirs et d’images magnifiques. J’ai maintenant complété ma dernière expédition d’envergure avant l’Everest. J’ai très bien toléré les 5895 mètres d’altitude du Kilimandjaro, mais quelques peurs me traversent l’esprit à propos de mon expédition dans l’Himalaya. Ce sera la plus difficile de ma carrière d’alpiniste. J’espère que la montagne des montagnes me laissera fouler son sommet, le temps d’une victoire.