Vinson

29 novembre  au 26 décembre 2008

Jour du sommet : 12 décembre 2008

Cap sur la montagne

Me voilà à Punta Arenas, une petite ville portuaire du sud du Chili. Depuis quelques jours, je séjourne à l’hôtel en compagnie d’alpinistes venus des quatre coins du monde. Je fais connaissance avec l’équipe qui m’accom-pagnera sur le mont Vinson : Jamis, de l’Australie ; Mike, de l’Arizona ; et Greg, de l’Afrique du Sud. Nous attendons le moment du départ. Un avion russe Ilyushin 76 volera pendant sept heures pour nous emme-ner en Antarctique. Les conditions météorologiques doivent être optimales : des vents pas trop forts et du temps clair pour toute la durée du vol. Ici, à la pointe des Amériques, ça n’arrive pas souvent. Des vents violents balaient constamment la ville. Avant que la température ne soit favorable, j’ai tout mon temps pour visiter Punta Arenas, me familiariser avec le climat subpolaire et obser-ver les manchots sur les plages. Moi et mon équipe du Vinson faisons aussi quelques randonnées dans les mon-tagnes environnantes. C’est finalement huit jours plus tard que nous nous envo-lons pour Patriot Hills, une petite base située au beau milieu de l’Antarctique. L’avion est si spacieux qu’on peut même y transporter des motoneiges et de la machinerie, qu’on entre par une grande porte cargo à l’arrière. Nous attachons nos bagages à l’aide de sangles et nous nous assoyons dans des petits sièges militaires. Arrivé à destination, je suis à peine descendu de l’avion que je trouve déjà l’Antarctique fabuleux ! Les plaines de glace s’étendent à l’infini sous un ciel bleu éclatant. Il a beau être deux heures du matin, le soleil nous éblouit comme en plein jour. Puisque c’est l’été austral, nous allons profiter de la clarté du soleil de minuit pendant toute la durée de notre séjour.

En marchant jusqu’aux tentes d’accueil, je suis frappé par la beauté de ce continent si pur, le seul qui n’ait pas encore été pollué par l’homme. C’est si merveilleux d’être ici ! Une grande joie m’envahit : le paysage est grandiose, je suis entouré d’une belle équipe, un grand défi nous attend. L’aventure recommence !

Arrivée et repos au camp de base

Après une courte nuit de sommeil, nous nous embarquons dans le petit avion Twin Otter de huit places qui nous conduit au camp de base du mont Vinson, à 2 200 mètres. Nous survolons des paysages grandioses de montagnes, de glaciers et de plaines enneigées. L’avion nous laisse au camp de base après deux heures de vol. Nous installons le campement. Même si nous sommes dans l’un des coins les plus recu-lés de la planète, nous sommes étonnamment bien équi-pés. Je suis enchanté d’avoir choisi cette compagnie d’expédition ! Nous prenons nos repas dans une tente commune qui nous sert de cuisine. Chacun de nous dort dans sa propre tente, sur deux gros matelas de sol. À l’ex-térieur, le mercure avoisine -30 °C, mais le soleil plombe et réchauffe nos tentes. Il y fait entre -15 et -10 °C, une température fraîche mais agréable. Avec nos vêtements isolants et nos sacs de couchage en duvet, il nous arrive même d’avoir trop chaud ! Nous passons deux jours à préparer notre équipement et à faire des petites excursions, le temps de nous acclima-ter à l’altitude. Nous montons toujours encordés même si les pentes ne semblent pas avoir beaucoup de crevasses. Les guides Scott Valcum et David Hamilton sont très pru-dents et préfèrent éviter les risques. Ils connaissent le mont Vinson dans ses moindres recoins. Nous leur accor-dons notre entière confiance. 

Je profite aussi de ces journées de repos pour discu-ter avec l’équipe. Quel privilège de faire l’expédition avec tous ces alpinistes chevronnés ! Dave Hahn, qui est présent au camp de base, a atteint le sommet de l’Everest une dizaine de fois, Scott et David ont sillonné le Vinson aussi souvent, d’autres ont également monté les sept sommets et plusieurs montagnes prestigieuses. Pendant les repas et les périodes libres, nous racontons longuement nos expériences et projets futurs dans le respect et l’humilité, malgré les exploits impression-nants de certains. Nos conversations sont un véritable partage de connaissances.

Ascension
Jours 1 à 3 – Vers le camp 1

Nous prenons une journée de repos au camp de base, puis nous faisons une excursion d’acclimatation sur un sommet voisin du Vinson. Nous commençons ensuite notre première journée d’ascension du Vinson sous un soleil éblouissant. Nous tirons derrière nous de lourds traîneaux pleins d’équipement. La première étape n’est pas la plus exigeante, mais nous montons très lente-ment, car tous les alpinistes du groupe n’ont pas la même endurance physique. Vers quinze heures, nous atteignons le camp 1, à 2 900 mètres. Mais ce n’est pas encore le temps de nous reposer. Il faut dresser les tentes, faire sécher les vête-ments mouillés par la transpiration, planifier le trajet du lendemain, préparer les repas… Même en montagne, nous pouvons prendre le temps de cuisiner des mets délicieux : tortellini, soupe, bœuf Stroganoff… Après une grosse journée d’escalade dans le froid intense, laissez-moi vous dire que nous savourons notre repas avec plaisir !

Jours 4 et 5 – Vers le camp 2

Scott et David tiennent à nous ménager : nous prenons donc une journée de repos au camp 1 pour nous accli-mater à cette nouvelle altitude. Nous faisons une petite excursion peu difficile en profitant du décor enchanteur de l’Antarctique. Le lendemain, nous nous sentons d’attaque pour l’étape suivante. Notre objectif : atteindre le deuxième camp, à 3 800 mètres d’altitude. L’étape représente 1 000 mètres de dénivelé. Nous laissons au camp 1 nos traîneaux d’équipement et nous apportons le strict nécessaire dans des sacs à dos. À l’aide de poignées d’ascension, nous grimpons de long de cordes fixes que des guides ont installées sur la mon-tagne. Comme les pentes sont peu inclinées, les cordes fixes ne sont pas indispensables pour les alpinistes che-vronnés que nous sommes, mais elles constituent tout de même une mesure de sécurité supplémentaire. Ici, il n’y a aucun risque à prendre. Aucun hélicoptère ne volera à notre secours si nous avons un accident. C’est sans compter que l’hôpital le plus proche est… sur un autre continent. En file indienne, nous commençons notre montée très lentement, même si personne ne souffre encore des désagréments de l’altitude. Nous prenons ensuite une petite pause pour pique-niquer. Deux heures plus tard et 300 mètres plus haut, nous par-venons à la fin des cordes fixes. Le paysage sublime me fait oublier la lenteur de la progression. Nous prenons une petite pause, puis Scott, Mike et moi pouvons enfin prendre les devants avec un rythme plus rapide ! Nous progressons comme des machines. En trente-cinq minutes à peine, nous avons marché les deux derniers kilomètres qui nous séparaient encore du camp 2. Notre montée s’arrête sur un plateau, d’où le coup d’œil est époustouflant. On peut contempler la vallée et le mont Shinn, le deuxième plus haut d’Antarc-tique. À 4 666 mètres d’altitude, sa cime disparaît dans un nuage. 

Jour 6 – Jour du sommet
Au petit matin, je me prépare un déjeuner copieux et j’es-saie de le manger jusqu’à la dernière miette, mais l’alti-tude commence à me couper l’appétit.
Nous nous habillons très chaudement. À 3 800 mètres d’altitude, le froid se fait cruellement sentir. Il vente à peine, mais la température frôle déjà les -38 °C ! Au som-met, nous devrons supporter un froid extrême ! J’enfile donc plusieurs épaisseurs de vêtements et deux man-teaux de duvet. Je glisse aussi des sachets chauffants dans mes bottes pour éviter des engelures aux orteils. Nous voilà équipés pour les grands frissons du sommet ! Seulement 1 000 mètres nous séparent de la réussite. Au début de l’ascension, nous devons déjà ouvrir nos man-teaux pour ne pas transpirer, mais nous les refermons vite quand nous atteignons un plateau supérieur. Le vent se lève. D’ici, nous pouvons enfin apercevoir la cime du mont Vinson, immense et majestueux. Nous approchons !

Un imprévu à quelques mètres du sommet
Avant de continuer notre route, nous enfilons nos cram-pons pour grimper les parois plus à pic. C’est alors que je réalise que j’ai perdu une talonnière pour fixer mon crampon gauche ! Je ne peux pas monter les pentes escarpées avec une botte sans crampon ! Heureusement, nous réussissons à fixer le crampon à l’aide de sangles et de cordelettes. Ça semble très solide ! Ouf… J’ai eu peur de compromettre ma montée pour une simple talonnière qui s’est détachée à mon insu. Nous arrivons au pied de l’éperon rocheux qui mène au sommet. Le vent devient plus fort encore et le ciel se couvre. La température que nous ressentons doit avoi-siner les -50 °C. Les dernières heures sont de plus en plus pénibles. Les rafales nous poussent et nous glacent. Je commence à perdre de l’énergie. Nous prenons des petites pauses fréquentes, mais j’ai les mains tellement gelées que je ne peux même plus manipuler ma gourde d’eau et sortir de la nourriture de mon sac.

Le découragement des derniers mètres

Nous progressons dans un brouillard qui cache le pay-sage et nous empêche de voir le sommet. L’ascension semble d’une longueur infinie. Chaque fois que je pense être arrivé, je me trompe. Je finis par m’asseoir sur une roche, complètement épuisé. J’ai beau vouloir conti-nuer, mes jambes refusent d’avancer. Mike s’arrête près de moi et m’offre du chocolat pour me redonner des forces. Nous apercevons alors David et Greg, 25 mètres plus haut. Leurs corps émergent du blizzard. Ils semblent s’être arrêtés. — Nous sommes arrivés ! crient-ils, les mains en porte-voix. C’est le sommet ! Il n’en faut pas plus pour que je retrouve l’énergie qui me faisait défaut ! Je repars en compagnie de Mike. Les derniers mètres brûlent le reste de mes ressources phy-siques, mais je parviens à terminer l’ascension.

Quelques minutes au sommet
Je suis au sommet du Vinson ! J’ai réussi ! Je suis tellement heureux et soulagé que je me surprends même à verser quelques larmes. Après six jours à supporter le froid intense, six jours à me demander si la température nous permettra de finir l’ascension, c’est un plaisir immense de voir enfin l’achèvement de notre aventure. Moi qui croyais avoir atteint les limites de l’euphorie en venant à bout de l’Everest, je me rends compte que je me suis trompé. Même si ma montée du Vinson a été moins longue et moins éprouvante physiquement, ma joie inté-rieure est aussi grande, mon sentiment d’accomplisse-ment aussi fort. Je suis surexcité, mais glacé jusqu’aux os. Le froid est infernal. David et Greg, qui étaient arrivés les premiers, sont obligés de redescendre vers une température plus clémente. Quant à moi, je savoure l’atteinte de mon qua-trième sommet en claquant des dents. Je sors ma caméra et mon appareil photo pour immortaliser le moment, mais après deux minutes, les batteries tombent à plat. Je ne pourrai pas rester ici bien longtemps…

Complètement transis, nous célébrons notre victoire à peine une quinzaine de minutes avant d’entreprendre le retour. Plus nous redescendons, plus le temps se dégage. Le paysage de l’Antarctique nous apparaît de nouveau sous son plafond de nuages. La température se réchauffe progressivement et nous pouvons rouvrir nos manteaux. La marche touche à sa fin, mais nous devons quand même nous efforcer de rester vigilants. L’adrénaline et la joie nous procurent les forces que nous avons épuisées à la montée. Nous regagnons finalement le camp 2, vidés de toute énergie, après huit heures de marche dans le plus vaste congélateur de la terre. Je téléphone à ma conjointe, mon attaché de presse et un animateur de radio pour leur raconter ma montée. Mission accomplie !

Jour 7 – En route pour le camp de base
Ce matin, tout le monde dort un peu plus longtemps pour se remettre des efforts de la veille. Je suis encore très fatigué. Je frissonne même dans mon sac de cou-chage ultra-isolant. À mon réveil, j’entends la neige tom-ber sur la toile de ma tente. J’enlève le masque oculaire qui m’aide à dormir malgré la clarté du soleil de minuit. Je constate qu’il fait plus sombre. Pour la première fois depuis notre arrivée en Antarctique, le ciel s’est couvert. Après un gros déjeuner, c’est le branle-bas de combat au camp 2 ! Nous démontons les tentes et empaquetons nos bagages dans les sacs à dos. Nous ramassons aussi tous nos déchets dans des sacs de plastique que nous rangeons dans un petit baril scellé sous vide. Nous devons retourner au camp de base avant la fin de la journée. Comparée à l’ascension, la descente est très diffi-cile pour les muscles des jambes. Mais ma bonne humeur ne me quitte pas. Je chante sans arrêt. La vie est belle ! Le soleil est de retour pour notre arrivée au camp de base, 1 800 mètres plus bas. Nous nous préparons un souper de fête, avec des filets mignons congelés et une bonne bouteille. Scott nous concocte même une crème glacée « de l’Antarctique » avec du lait concentré et de la neige. Un véritable festin !

Retour au bercail

Cinq jours ont passé et nous sommes toujours au camp de base. C’est la tempête. La neige tombe, le brouillard cache le paysage, la température a dégringolé à -40 °C. Il fait trop mauvais pour que l’avion s’aventure ici. Nous l’attendons depuis près d’une semaine. J’ai pu discuter avec l’équipe, lire, écrire mon journal de bord et faire des petites excursions aux alentours. Nous commençons tous à trouver le temps long.

Coincé à Patriot Hills

Après quelques jours, une accalmie permet enfin à l’avion de nous ramener à Patriot Hills. Mais l’attente n’est pas terminée. Le temps est à nouveau exécrable. Les vents soufflent très fort. Impossible pour l’avion de faire la navette entre l’Antarctique et le Chili. Personne ne peut venir à Patriot Hills ni en partir. L’Antarctique nous impose son rythme et nous n’avons d’autre choix que de nous y soumettre. C’est seulement cinq jours plus tard que l’avion peut reprendre du service entre Patriot Hills et Punta Arenas. Maintenant que l’expédition du Vinson est bien terminée, je réalise que c’est une chance incroyable d’avoir foulé la cime de cette montagne si peu fréquentée, campée dans le continent le plus inhospitalier du globe. Seulement une poignée d’alpinistes tentent de gravir ses pentes. Atteindre son sommet est une expérience grisante, car elle prend un caractère d’exclusivité. L’expédition a coûté une fortune, mais elle m’a enrichi bien au-delà de mes attentes. Je suis parvenu à la moitié de la collection des sept som-mets ! Je pense à toutes les difficultés que j’ai surmon-tées et aux nombreux défis qui m’attendent encore. Je suis déjà impatient de me lancer dans l’étape suivante. L’aventure n’est pas finie.